Hideaki Anno, l’Otaku Réalisateur

Hideaki Anno, l’Otaku Réalisateur

Hideaki Anno

L’otaku réalisateur


Il était une fois un réalisateur totalement geek qui consacra son œuvre à la réflexion sur la condition d’Otaku sans oublier une bonne dose de fan Service ! C’est avec un grand plaisir que je vais vous parler de Hideaki Anno, un passionné qui passionne.

Une carrière dynamique

Anno est avant tout un amoureux d’animation et de dessin, il entre à vingt ans dans une école de cinéma dont il réalise un court métrage fauché d’Ultraman.  S’il travaille plus tard sur les courts amateurs  Daicon III et IV en tant que designer, il débute dans l’animation en 1981 en tant qu’animateur sur le film Nausicaa et la vallée du vent de Hayao Miyazaki. Un début explosif qui l’entraine sur l’animation du film Macross, Do you remember Love ? Ces deux projets vont alors lui permettre de faire ses armes et le motiver à créer son studio avec son ami Yamaga Hiroyuki, le studio Gainax.
Ce studio est développé en 1984 dans le but de créer un film avec le soutien de Bandai, Les ailes d’Honeamise dont Yamaga est le réalisateur. Anno réalise alors plusieurs programmes courts promotionnels afin de récolter les fonds.  Le film sort en 1987 et est un échec commercial non mérité.

L’année suivante, Anno s’impose à la réalisation avec la série de méchas Gunbuster, composée de 6 OAVs, qu’il termine en 1990. Cette série qui met en scène des femmes pilotant des grands robots est un triomphe, un vrai phénomène due au fan service mais aussi à la profondeur de l’intrigue qui allie plusieurs ingrédients de la science fiction. A peine les OAV terminé qu’il réalise Nadia et le secret de l’eau bleue. Cet autre succès n’empêche pas Anno de sombrer dans une dépression, a  priori liée à sa condition d’otaku. Étrangement, à la même période, le studio Gainax produit la série d’OAV Otaku No Video qui alterne fiction animée sur un groupe d’otakus et documentaires sur des cas réels et souvent pathétiques.

Il revient ensuite en 1995 avec ce qui va traumatiser l’’animation japonaise : Neon Genesis Evangelion.  Cette série est l’un des plus gros succès jamais vu, elle est trois années de suite première à l’Anime Grand Prix. La controverse est alors énorme, cette série qui montre des adolescents pilotant des robots géants se révèle d’une profondeur encore jamais exploitée dans l’animation japonaise. Ici les personnages sont fouillés jusqu’à leur psychologie. Mais la production de la série est très difficile, les financiers ne sachant pas où il va. Dépassant le budget, il la clôture sans argent décevant grandement certains fans, au point de recevoir des lettres de menaces. Un phénomène générationnel était né. Un an plus tard, il co-réalise les films Death and Rebirth et surtout The End of Evangelion qui marque une réelle conclusion de la série. Directement après, il adapte le manga à succès  Kareshi Kanojo no jijo (Entre elle et lui) dont une divergence artistique avec l’auteur l’incite à lâcher la série à la moitié et à quitter le studio.
Il se dirige dès lors vers une carrière live et réalise Love and Pop en DV ainsi que Shiki Jitsu (Ritual), deux films qui montrent une jeunesse en mal de repères. S’ils sont tous deux produits par le studio Ghibli, ils restent néanmoins des œuvres difficiles d’accès.
En 2004, Anno réintègre le studio Gainax et réalise l’adaptation live des OAVs ReCutie Honey (par l’auteur de Goldorak, Go Nagai), co-produits au sein du studio Gainax .  Si le film a un début époustouflant, le manque de rythme devient vite néfaste.

Après ces expériences live non abouties, Anno revient à ce qu’il sait le mieux faire, l’animation, s’il produit la seconde série Gunbuster : DAIBUSTER sans vraiment s’en occuper, il se lance à nouveau dans la saga Evangelion et décide de superviser 4 films qui seraient un remake de la série devenue culte (et qui avait déjà subi une cure de rajeunissement en 2004 avec les Evangelion Renwal). La saga de films s’appelle Evangelion  Rebuild et à ce jour, deux sont sortis. Le premier reprend quasiment plan par plan la série avec un visuel plus riche, le deuxième s’en écarte grandement  et offre une image numérique époustouflante.  Pour ces films, Anno a créé le studio Khara, la date de sortie des prochains n’est toujours pas prévue, mais vu le retard du deuxième, on a le temps de voir venir.

Des thèmes d’Otaku pour les Otakus

Dans les années 80, Anno fait partie de la génération qui est immergée par la culture populaire des années 60 et 70 et qui se développe avec la vague infernale que l’animation subit à cette décennie. Ainsi ses références sont  clairement identifiées dès les courts métrages Daicon réalisés pour des conventions. De simples produits amateurs qui revêle le talent de l’équipe mais surtout qui marque combien leur amour pour la culture visuelle nippone est forte. Ainsi le Space Battleship Yamato, Godzilla, Gamera, les robots géants, les sentais ou encore les comics américains sont présents dans un délire assez jouissif (vous n’aurez pas de mal à les trouver sur internet).
Mais les choses deviennent plus sérieuses lorsqu’il passe à la réalisation avec Gunbuster et Evangelion. Ici, il reprend ce qui a inondé la télévision dans les années 70, les histoires de robots géants. Le mecha-design est alors très moderne et les pilotes restent des adolescents comme ce qu’on a pu voir dans Gundam ou toutes les séries de Go Nagai (Goldorak, Mazinger Z). Mais Anno profite de la nouvelle vague Cyberpunk pour créer des pilotes féminins, oui Aliens de James Cameron toucha toute la japanimation lorsque Ripley intégrait le robot pour affronter la Reine.  D’ailleurs on voit un très beau visuel de la bête dans le clip  Daicon IV. De jolies filles dans des mechas, rien de plus jouissif pour tout fan adolescent. Mais ajoutez-y une importante place à l’émotion et aux relations humaines et vous obtenez une œuvre qui se démarque et qui touche un public bien plus large. Anno arrive alors à constituer un visuel riche qui se base sur des mechas assez classiques dans Gunbuster puis beaucoup plus élaborés dans Evangelion, du moins plus atypiques tant le lien physique avec l’être humain est troublant (ici les pilotes sont connectés nerveusement aux méchas). Ce visuel marquant est alors contrasté avec tout ce qui a été fait auparavant. Cet aspect du robot prouve également combien Anno est intéressé par la relation entre l’humain et la machine, comme si cette dernière devenait une pièce de collection, un prolongement de l’Otaku.

Férue de Science-fiction donc, il développe les nouvelles technologies dans la série Nadia et le secret de l’eau bleue dont les inventions de Jean son un processus scénaristique et esthétique très efficace pour dynamiser le rythme et l’image. Mais la science-fiction n’est qu’une base pour cet auteur qui développe plusieurs sous genres, du space opéra aux combats de monstres en passant par la découverte d’une autre civilisation, il ne cesse de lier les thèmes qui lui sont chers. Et pour cela, il combine habilement SF avec la religion (Lilith et les Manuscrits de la mère Morte), les organisations secrètes, les grands mythes de notre monde (Atlantide) et les théories de l’espace et du temps (Dans Gunbuster l’espace altère le temps ce qui éloigne les individus). Toutes ces mixtures montrent la précipitation d’un fan à vouloir traiter de tous les sujets qu’il adore, et c’est ce qui rend atypique ses histoires et favorise les contextes originaux où ses personnages peuvent se développer.

Les personnages d’un otaku

Si la mise en scène et le processus d’écriture d’Anno s’axent sur ses personnages, c’est parce qu’il aime transposer des cas réels dans un contexte de Science-fiction. L’héroïne de Gunbuster devient très vite accroc aux robots et véhicule un sex-appeal qu’elle partage avec plusieurs autres collègues pour la plupart, des demoiselles en quêtes de sensations. Dans Nadia et le secret de l’eau bleu, il créé un couple constitué d’un garçon portant des ronds de bouteille en guise de lunette et qui est totalement passionné par la mécanique évolutive (le geek informatique de l’époque ?), et de Nadia, demoiselle métisse mise en valeur par un physique agréable et une aura mystérieuse. Le couple part alors affronter mille dangers pour retrouver les traces du passé de Nadia. Et bien entendu, dans Evangelion il reprend tous ces critères et les approfondie  avec une dimension psychologique rare. Tout comme Evangelion et Nadia, Shiki Jitsu son film live, présente un personnage masculin réalisateur (le héros masculin en marge du fait de sa passion) qui fréquente une jeune demoiselle aux cheveux teintés et qui entretien un rituel d’anniversaire assez étrange. Finalement le personnage féminin se dévoilera peu à peu. Pour situer ses protagonistes, on peut également revenir sur le dernier film d’Edgar Wirth, Scott Pilgrim, qui reprend l’attraction qu’éprouve un garçon pour une mystérieuse fille. Ainsi le jeune homme qui vit dans son monde se dévoile en affrontant les obstacles qui s’opposent à leur rapprochement, et il découvre peu à peu la personnalité de la fille qui  l’écarte de son monde et lui permet d’en créer un nouveau… à deux. Oui Anno nous offre dans chaque œuvre une introspection évidente et nous fait part de ses passions, de sa façon de penser ainsi que de ses maux. Evangelion en est d’ailleurs la preuve. Créée lors d’une post dépression, cette série met en scène un adolescent incapable de s’intégrer correctement parmi les autres. Finalement il se réconforte dans sa tristesse, sa solitude est pour lui une façon de se protéger à court terme. Mais alors le message d’Anno est simple, il faut s’ouvrir au monde. Chaque expérience doit être bénéfique pour forger son caractère. Les deux derniers épisodes polémiques réalisés sans moyen (que j’apprécie énormément) restent tout de même un exemple de morale pour toute une génération qui se terre. Car oui, c’est un phénomène de plus en plus courant au Japon que de s’enfermer sur soi-même au point de devenir un Hikikomori, soit une personne ne voulant plus sortir de chez elle et entrainant une agoraphobie poussée.
Jouant toujours sur les clichés, Anno aiment développer des personnalités déjà exploitées pour nous surprendre car il part toujours dans une direction inattendu à un moment donné de l’intrigue. Les personnages secondaires sont les plus ciblés, basés sur les archétypes des années 70 et 80, ils sont un moyen très efficace de développer le contexte dans lequel évolue l’histoire. Mais surtout, ils permettent de développer des communautés qui seront un nouvel attrait pour le solitaire qu’est généralement le héros.

Démons et passions d’otaku

L’entrée dans le monde du travail, le voyage initiatique, la découverte de la femme… Tant de moments charnières d’une vie qui nous évitent l’asociabilité et qu’il met en scène, sans jamais entrer dans la lourdeur que son message pourrait susciter. Non il arrive toujours à compenser avec un visuel fort bourré de références, d’où l’intérêt du « fan service » soit des éléments que les fans aimeraient impérativement voir. Des éléments qui peuvent paraitre poussés voire inappropriés, mais ici nous restons dans la tête d’un Otaku pur et dur qui se plait lui-même à les mettre en scène. Bon effectivement ça peut jouer en sa défaveur et rendre des histoires assez hermétiques, c’est justement pour ça qu’il a fait un remake à sa série Evangelion, les 4 films devraient être plus facile d’accès… Et si certains puristes comme moi trouveront que c’est trop explicite et que ça perd son charme énigmatique, on ne peut que constater la surenchère de fan service et la recherche des nouvelles technologies qui serviront à donner à chacun un plaisir primaire qui est de s’abreuver de belles images et de personnages charismatiques !

Mais attention l’œuvre d’Hideaki Anno ne se résume pas à du simple fan service aux multiples références et  aux personnages hauts en couleurs.  S’il aime développer les genres tels que la SF ou les romances, il développe tout de même une patte dite « auteur ». Toujours en lien avec ses thèmes, il va régulièrement imposer des longs moments de silences dans Evangelion, et il va offrir une mise en scène parfois déroutante essayant de lier techniques de prise de vue réelles et animation. Love and Pop par exemple est une succession de séquences où les grands angles s’introduisent dans les endroits les plus étonnants. C’est d’ailleurs ce qui est très plaisant chez lui, on ne sait jamais comment il va aborder tel ou tel thème, surtout qu’il traite souvent de sujets graves tels que la prostitution, la sexualité chez les jeunes, le manque de repères…  Des thèmes sensibles qui le touchent forcément. Pour lui rien n’est jamais propre, les relations entre les personnages sont souvent difficiles voire atypiques et le lien avec la sexualité revient assez fréquemment. D’ailleurs, la frustration n’est jamais très éloignée. Shunji, le héros d’Evangelion, est un personnage introverti qui va jusqu’à se masturber devant une amie dans le coma, et Love and Pop montre une étudiante voulant se prostituer pour pouvoir se payer une  bague ! Si le délire visuel  contraste avec le fond, il accentue un malaise très présent dans la société. On ressent alors plusieurs tendances dans le cinéma d’Anno, celle où la jeunesse et le talent lui permettent d’offrir des animés bourrés de références accompagnés d’une morale légère, et celle où sa post-dépression du début des 90 le rend vite intrinsèque. Evangelion et ses films lives sont alors un règlement de compte avec lui-même.  Toujours dans une idée moralisatrice, il créé des œuvres plus prenantes où l’identification va très loin dans l’intimité des personnages, dès lors on comprend mieux pourquoi certains lui ont envoyé des menaces après la fin d’Evangelion, ils étaient surement trop touchés par ces personnages pour pouvoir accepter la première fin pourtant si forte. Anno a justement repris ces lettres et les a  mis dans le film The End of Evangelion lors du climax du film (si ça c’est pas un autre règlement de compte…).
Puis 2002 marque un grand pas dans sa vie d’otaku , il se marie avec une mangaka ! Je n’imagine pas le degré de bonheur pour un otaku de se marier avec une auteur de manga, mais son humeur va vite changer.  En 2004 il revient à la réalisation d’un troisième live bien plus décomplexé, Cutie Honey, un défi visuel  qui lui permet de développer une autre facette de sa passion, le Tokusatsu, les séries de super héros (pour plus d’explication : http://www.cinefuzz.fr/?p=191). Si le film n’est génial que dans ses premières minutes, la suite est plombée par un rythme mal géré tant Anno essaye de garder un humour parfois maladroit et poussif (non on ne dira pas qu’il est meilleur lorsqu’il fait déprimer ses personnages…). Débordant de folie, le réalisateur joue également la même année le premier rôle de Otaku in Love, un délire dont le titre  en dit long.  La même année, la Gainax redonne une jeunesse  à la série Evangelion en retouchant les plans et proposant un director’s cut… ha l’argent quand tu nous tiens… Mais rassurez vous, les œuvres précédent son mariage ne nous plongent pas  systématiquement dans un malaise existentiel,  la visuel est toujours très fort et il arrive habilement à alterner ce fan service et cet aspect moralisateur.  Justement, avant qu’on lui passe la bague au cou (euh…) il fait preuve de beaucoup d’humour avec  un film court  en prises de vues réelles, sous le label Grasshoppa, où il montre des techniques loufoques pour avoir une place dans le métro.
Grashoppa est d’ailleurs un label collectif et marque combien Anno s’entoure d’amis partageant la même passion (La Gainax n’étant constituée que de fan-boys) On peut alors le voir participer à des projets d’ami ou même les faire participer directement à ses œuvres. Ainsi il  joue dans le film The Tast Of Tea de Katsuhito Ishii, un complice amoureux d’animation tout comme Shunji Iwai, un grand metteur en scène à qui Anno offre le premier rôle dans Shiki Jitsu. Ce rôle est justement celui d’un metteur en scène, c’est une réelle introspection qu’Anno nous offre. Cette vague de réalisateurs est importante, elle montre combien il est possible de lier, d’une part, patrimoine et culture populaire, et d’autre part, le cinéma d’auteur et les films de genres.

Bien sur les séries et films d’Anno ne sont pas exemptes de défauts et il est très compréhensif que l’on puisse ne pas accrocher à son style tant on peut le trouver instable, parfois sérieux, parfois délirant, ou souvent trop rétro (il n’est pas encore sorti des années 80-90).  Le soucis avec ses œuvres est qu’elle s’inscrivent trop dans leurs époques et que si elles peuvent bouleverser des tendances, elle peuvent très vite paraître rétro. D’ailleurs le remake de sa série phare en est la preuve, on peut donc se demander s’il n’a pas peur de sombrer dans l’oubli… Ça serait étonnant vu qu’encore aujourd’hui, cette série est telle une religion au Japon. Allez, par charité on mettra ça sur le compte qu’il veut retranscrire de nouveau un monde avec un visuel qui le mérite, et non parce que les idées nouvelles sont chères ou que le côté vénal de l’homme peut toujours ressurgir… non. Mais il faut le reconnaître, il a renversé à jamais le space-opéra dans l’animation ainsi que les séries de méchas. Evangelion reste une pièce maitresse indispensable dans la grosse machine qu’est l’animation japonaise, et le pays du soleil levant attend encore aujourd’hui une œuvre qui pourrait autant secouer les otakus même si le studio Gainax (encore lui) était sur la voix avec la merveilleuse série Gurren Laggann.
Anno est certes connu pour sa passion qu’il retranscrit, mais  il est important de constater qu’il a surtout créé des œuvres originales. On ressent le besoin de liberté, d’où la volonté de créer ses propres studios. C’est donc un  contemporain  important qui a marqué son passage, mais comme Mamoru Oshii et Katsuhito Otomo, cette vague de génie n’arrive à se démarquer que dans l’animation tant leurs films en prises de vues réelles sont peu accessibles ou maladroits. Alors vivement ses prochaines œuvres originales, d’ici là faudra se contenter des films Evangelion Rebuild qui sont tout de même, de belles claques visuelles.
Merci Mr Anno pour ta passion.

Philippe Bunel